Nouvel épisode des Morceaux à lire de Castellum. Aujourd’hui, 17 mai 2020 : pluie au Castellet, l’eau du vallon de la Fouent s’est écoulée dans la Coussière sans conséquences. Il n’en fut pas de même le 20 juin 1743. Grâce aux recherches de Philippe Ligonesche, nous pouvons découvrir cet épisode jusqu’ici ignoré de l’Histoire de notre village. Merci à Philippe pour cette trouvaille.
« En dépouillant les archives du Castellet à la recherche de la famille Itard, je suis tombé sur ce texte, écrit par le curé de l'époque, Belhier. D'autant que les Itard sont concernés. Il reflète bien les dires et souvenirs de nos anciens, ainsi que les gestes de bravoure...
Pour ceux qui connaissent le village, et jadis sa disposition, on comprend parfaitement le cheminement du torrent au travers des lignes. Ci-joint la retranscription, l'image du texte et un extrait du cadastre napoléonien, dressé 80 ans plus tard.
À noter que j'ai respecté l'orthographe d’époque. »
Philippe Ligonesche
Registre paroissial du Castellet - 1743 - Côte 1Mi5-0253 page 226
(retranscription de Philippe Ligonesche)
L’an mil sept cent quarante trois et le vingt du mois de juin a trois heures après midy jour de l’octave du St Sacrement la grêle emporta le vin du castelet depuy le village jusqu’à oraison, la plus grande pastre des vignes engravées, les chanvres, les segles et bleds furent coupés par la grele, embourbés ou enterré du gravier. Il plut avec une si grande rapidité que le valon de la fontaine autrement dit la coussière innonda les maisons dudit Castelet, remplit du gravier une grande partie des jardins, en renversa les murailles. L’église, la maison curiale et la maison du sieur Joachim Martin, de Barnabel Guillaume et plusieurs autres furent remplie d’eau jusqu’au premier étage ; trois autres du quartier dit les Bernards furent renversées par le torrent de l’eau, savoir la maison de Barnabel Barras de Pascal Itard, de Magdeleine Bachelas, la mère de Barnabel Barras, sa femme et deux de ses filles furent emportée étant dans la maison par ledit torrent, sans que personne ne périt par la grâce de dieu ; tous les troupeaux furent également emportés, sans en pouvoir garentir aucun, au nombre desquels se trouva celuy du sieur Marin Boucher, de Gaspard Barbe, dont la femme se conserva sur une poutre de la croix, plusieurs tonneaux de vin renversés au Castellet le huit février de l’an mil sept cent quarante quatre.
Belhier curé
À la suite de cette publication, nous avons reçu un commentaire de Janine Brochier suivi d’un autre de Christian Blanc, l’une et l’autre membres de l’association Rancure d’Oraison, avec laquelle nous avons des relations très amicales et privilégiées. Nous remercions vivement nos amis d’enrichir les informations déjà fournies.
Texte de Janine Brochier
Bonjour et merci pour les textes passionnants que vous nous envoyez.
Cette description de l'inondation de 1743 est incroyable !
Quant à moi, je suis… passionnée par l'Histoire de notre pays, et passionnée par la peau de la Terre… la géologie , et tout ce qui en dérive, donc les aspects humains qui en découlent : les inondations, par exemple.
Vous savez qu'EDF a creusé la colline du Tholonet à Oraison pour y nicher notre énorme usine hydro-électrique souterraine. Quand on fait de grands travaux de ce type, les ingénieurs ont l'obligation de prévoir la gestion des déblais... et dans ce cas, ce n'était pas une mince affaire !
Il fut décidé de les déposer au sud-est du village pour agrandir la pente douce qui descend de la vieille ville vers le Rancure. Et, de ce fait, notre belle piste est née, et elle est appréciée par tous les promeneurs. En ce moment c'est la paradis ! Sur ce terre-plein, on a construit beaucoup de maisons qui sont, sur notre DICRIM, toutes classées en zone rouge inondation… ce qui veut dire que c'est un lieu très dangereux et que les maisons sont toutes maintenant invendables, donc condamnées à la destruction !
Mes amis hydrogéologues m'ont dit que le bassin du Rancure était un immense éventail... et que, si un orage tombait simultanément sur toute sa surface, l'inondation provoquée serait catastrophique et comparable à cette de l'Ouvèze à Vaison-la-Romaine à cause du rétrécissement du lit du Rancure à Oraison.
On connait tous à Oraison la légende des dépôts de poubelles anciens sur les berges du Rancure : quand les lavandières entendaient cliqueter les vieilles casseroles déposées, elles percevaient un souffle qui venait de l'amont : c'était le déplacement d'air causé par le mur d'eau (provoqué par les orages sur le bassin du Rancure) qui dévalait la pente et elles rentraient très vite, car elles avaient peur d'être emportées... Christian Blanc corrigera ma version des faits, qui se perd dans la nuit des temps, et est très certainement un peu exagérée !
Mon texte est un réflexe au vôtre, et il confirme que la pluviométrie de notre climat est pour le moins inquiétante !
Et le GIEC dit que ça ne va pas s'arranger à l'avenir!
Voilà donc ma petite participation personnelle à nos échanges.
Janine
(qui vient de fêter ses 75 ans, confinée dans la maison où elle est née physiquement ! incroyable !)
Texte de Christian Blanc
Bonjour à vous,
Janine, merci pour ton éclairage scientifique très intéressant et important sur ces événements climatiques. Je n'ai pas souvenir de ce texte de 1743 mais j'imagine bien, d'après les recherches que j'ai pu faire sur le sujet, que les dégâts ont pu être considérables. De tels épisodes orageux catastrophiques n'étaient pas rares et ils peuvent, aujourd'hui encore, se reproduire, même si nous avons actuellement un important couvert végétal protecteur.
S'agissant du creusement de la colline du Tholonet pour y caser l'usine EDF, j'ai le souvenir des premiers tirs de mines sur le flanc est de la colline. À l'époque, mes parents louaient un jardin avec cabanon sur la route du Castellet, à quelques centaines de mètres du chantier. On nous avait avertis de ces explosions de façon à ce que personne ne s'approche de la zone dangereuse. Par ailleurs, il risquait d'y avoir des projections de cailloux dans les jardins et sur les toits des cabanons. Et ça n'a pas manqué. Après le grand boum, sur notre cabanon, plusieurs tuiles avaient été brisées…
Par la suite, avec des gamins de mon âge, nous allions observer, au plus près, le va et vient de ces énormes cocottes qui venaient déverser leurs chargements de gravats pour, finalement, en faire la belle route et sa promenade piétonne que nous connaissons actuellement.
Dans ces amas de pierres extraites du cœur de la colline nous allions récupérer du fil de mine afin de nous en servir de liens pour construire nos cabanes, à deux pas de là dans le Rancure ou en colline. Ces pierres, presque toutes arrondie (des galets plus ou moins gros), sentaient la poudre, une odeur nouvelle pour nous. Parfois la graisse ou le gasoil. Le progrès avait désormais ses odeurs ! Ces fils, généralement de couleur jaune ou rouge, servaient à tout. Même à faire des scoubidous, car c'était la mode en ce temps-là. Mais il fallait récupérer la gaine plastique en chauffant le fil dans nos mains afin de pouvoir extraire, en le tirant, le fil de cuivre que protégeait cette gaine. On s'y brûlait régulièrement les mains... De temps à autre nous allions aussi remplir quelques bouteilles au tuyau qui servait pour l'évacuation de l'eau des veines qui avaient été découvertes ici et là lors du creusement de la roche. Une eau fraîche, réputée pure et abondante désormais perdue. Mais ça faisait loin pour aller la chercher...
Amicalement à vous.
Christian Blanc