Quand on franchit la frontière piémontaise, après le col de Larche, en suivant la rivière Stura, on délaisse successivement des petits lacs, une vallée encaissée et des pentes abruptes avant d’arriver à un village fortifié, Vinadio. Vinai en langage local, c’est-à-dire… en provençal! Ainsi, arrivé à Marseille, mon grand-père maternel Henri n’a eu aucun problème de communication quand il a fui la misère et la montée du fascisme au tout début des années 20. Eh oui, mon pépé venait de Vinai et plus exactement d’un minuscule écart de quelques maisons iLentre situé à 1200 m d’altitude près d’un petit torrent. J’ai connu i Lentre dans les années soixante. On y montait par un étroit sentier de terre qui grimpait dur sur plusieurs kilomètres. Enfin sur un méplat on pouvait traverser un torrent sur un improbable pont de bois dont on se demandait toujours s’il n’allait pas s’effondrer. Et là, hormis la maison familiale, tout était ruines. La plupart des habitants avaient émigré vers les Amériques en 1910, 1911, 1912 : les dates avaient été inscrites à la peinture dans les maisons. Des traces d’incendie provenaient, elles, des rétorsions allemandes en 1945, quelques maquisards ayant trouvé refuge dans ces maisons isolées. Oh, des maisons bien modestes, plantées à flanc de montagne avec une entrée par la ruelle du bas dans l’unique pièce du rez-de-chaussée et une entrée en haut, par derrière à l’étage, où l’on rangeait le foin et des provisions. Aucun confort : ni eau courante, ni électricité. Tout juste une petite cheminée pour se chauffer. Pour se laver ? Une belle cascade à trois pas des maisons! Pour s’éclairer? Une lampe à pétrole pour remplacer l’antique lampe à huile des générations précédentes ! Inutile de vous préciser la dureté de la vie dans ce pays de froidure où la neige ne permettait, pendant l’hiver interminable, aucune autre activité que la chasse. Et l’été il fallait se dépêcher d’aller cultiver des lopins de terre, que pépé me désignait de sa canne quand j’étais enfant, dispersés sur les pentes du mont Nébius, plus loin encore du Bourbon. J’aurais bien du mal à les resituer aujourd’hui. Je n’oublierai pas de vous parler du four communal qui, une fois l’an, servait toute une semaine pour cuire le pain de l’année. Des montagnes de pains qu’on rangeait dans la pièce unique sur une énorme palette de bois qu’on remontait au plafond grâce à une grosse corde et à une poulie pour mettre ce bien précieux à l’abri des rongeurs. Et en cours d’année on trempait ce pain dur dans la soupe. On en coupait des tranches à la scie sur le chevalet du bois de chauffage.
S.K. - 2020
Histoire vraie : mon grand-père Henri (Enrico) est né en 1894 à Lentre, commune de Vinadio.